Volume 1, no.3, PRINTEMPS 2007

Opinions

Pour la création d’une Commission d’Evaluation
au sein du réseau Planet’ERE
Nous devons hardiment avancer contre la brume de nos illusions

A U T E U R

Alain Blayo

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Lors de la réunion qui vit la naissance de Planet’ERE, nous avions évoqué le besoin de l’assistance d’experts juridiques internationaux, pour produire du contrat sur les limites et sur les adhésions. Nous avons en effet le droit de ne pas savoir, mais nous avons le devoir de poser des questions pour que les consensus les plus larges soient possibles, puisque notre organisation porte le nom aux consonances ambitieuses de ‘’Planet’ERE’’.

L’ignorance, « membrane entre la connaissance et le désir» (1), est le bon point de départ pour accéder au savoir et au sens. Nous devons faire effort, nous devons combattre.

L’effort à fournir est joyeux : découvrir, avancer, observer, rassembler de la connaissance et la retransmettre. L’éducation relative à l’environnement est construite sur du savoir écologique, de la connaissance sur la « maison », notre lieu de vie. Toutes les sciences concourent à en éclairer une dimension, un aspect. La mathématique des plantes dispute à l’intérêt des essences, la vie des cellules aux cabrioles des dauphins. Ces nombreux sujets d’extase facilitent tout effort, même si, parfois, nous nous trouvons en situation d’ange moralisateur, pestant contre les OGM et contre les dérivés du pétrole. Notre posture éducative est, sur ce plan, rabelaisienne : « Fais ce que tu voudras... »

Mais voilà qu’intervient le désir, et là, tout se complique, parce que contre le désir, il y a toujours combat à mener. C’est lui la cause de bien des maux, que nous dénonçons à longueur de rencontres, de colloques, d’assises, et autres manifestations internationales. Or le désir, malin, est toujours masqué : masqué derrière les bonnes intentions audibles dans nos incantations publiques, masqué par la moralisation des injonctions que nous assénons à nos semblables, retranché derrière cette inébranlable assurance du bien fondé de nos affirmations pour un monde meilleur.

Le désir a la part belle : l’éducation à l’environnement n’est pas un processus finalisé, et l’échelle de nos ambitions est planétaire ! Autant dire que ni le temps ni l’espace ne sont comptés au désir. Dès lors, quelle est la part de l’Educateur à l’Environnement, autre que de trouver sa place, obstinément ? On voit les prémisses d’un combat, et ce combat sera mortel.

En effet, est-ce que la dimension du désir peut annihiler tout effort d’Education à l’Environnement ? « Quinze milliards d’années d’évolution pour l’avènement d’un être capable de découvrir l’origine de l’univers dont il est issu, de déchiffrer le comportement des atomes et des galaxies, d’explorer le système solaire, de mettre à son service les forces de la nature, mais incapable de se mobiliser pour empêcher sa propre élimination » (2)

L’ambition d’Education Relative à l’Environnement est-elle impossible ? « Si nous apprenons ce que nous savons à nos enfants, ils seront aussi médiocres que nous ! ... (3)

Pourtant, ne baissons pas trop vite les bras. Et si nous ne voulons pas être débordés par les tenants de l’impossible, nous devons user de stratégie : pour lutter contre les masques du désir, nous avons des armes : la ruse, l’interculturalité, etc.

Ces armes fondent notre projet sur deux décisions :
- Le parti-pris de la confiance en l’autre, d’admettre que le monde de demain est entre les mains de nos semblables. Donc, au-delà de la prétention d’être des guides, nous devons revendiquer la place d’éducateurs : «..éduquer à affronter des problèmes d’une manière responsable : l’énergie, la biodiversité, etc... » (4)
- L’exigence de la vérité (dans ce texte, opposée à la croyance), implique la plus grande clarté sur nos propres cultures. Quelles sont nos propres ambitions ? Quels sont les enjeux qui nous guident ? La référence à des valeurs énoncées est condition de l’émergence de sens : si des activités d’élèves sont calées sur leurs rythmes biologiques, le moindre changement d’horaire (pour cause de disponibilités de locaux, par exemple) conduit à une perte de sens de l’organisation de ces activités. (5)

Plus que le souci de mettre bas les masques, projet mondialiste et facile, nous devons user de nos diversités culturelles pour enrichir notre action : mettons nos masques pour les transmettre vers le futur.

Que proposer, sur ces bases, pour mener le combat contre le désir ? De l’endiguer, de le réguler, de le canaliser, parfois de le solliciter, de faciliter son cours vers ses réalisations : en un mot, de l’éduquer. A nous de construire une démarche. Pour cela, soyons à présent rousseauistes. Nous pourrons partir du croisement de grands domaines :

Utilité, maîtrise, « mieux pouvoir »
Sens, choix, « mieux croire »
Curiosité, compréhension, « mieux savoir »

Il s’agira ensuite de décrire : sommes-nous capables de situer la signification de notre action dans ces trois domaines ? Quels sont les métiers qui supportent notre projet ?
Ensuite, et très rapidement, nous pourrons évaluer : est-ce que notre action est cantonnée dans l’un de ces domaines, ou dans les trois simultanément ? Pouvons-nous qualifier les contextes d’exercice ?
Une évaluation conduit tout naturellement à projeter : quelle action pourrait prolonger, compléter, accompagner, mettre en valeur la précédente (évaluée) ? Avons-nous des éléments de mesure de l’étendue (espace et temps) des types d’actions que nous promouvons ?
Mais, parallèlement, pour ne pas revenir en arrière nous devrons capitaliser : quelle leçon pourrai-je tirer de cette action qui vient d’être achevée ? En termes d’impacts, de résultats, mais aussi d’enrichissement des pensées et des pratiques...

Formellement, notre ONG peut matérialiser ces quelques propositions sous la forme d’une Commission d’Evaluation, un organe de valorisation des actions et de généralisation des avancées réalisées sur le terrain, d’appui des acteurs locaux par les conclusions d’un regard externe, référencé à une documentation Planét’ERE, elle-même alimentée par les membres de l’ONG et par toute autre voix volontaire pour faire avancer l’Education Relative à l’Environnement. L’objectif est la création d’un référentiel professionnel international, et, à terme, d’une méthode robuste de communication applicable au niveau planétaire.

1) Sara Pain La fonction de l’ignorance Editions LANG Berne 1989, citée par Jaèn Boyer.
2) Hubert Reeves avec Frédéric Lenoir Mal de Terre Seuil Paris 1998 .
3) Gunter Pauli Communication au Colloque WEEC de Turin 2005.
4) Intervention de la salle à l’UNESCO Paris 2006.
5) Jacques Ardoino et Jaèn Boyer, communication au colloque de l’ADMEE 1996.